Depuis quelques semaines, Hreingir faisait un étrange rêve, de façon récurrente. Dans ses visions, elle se voyait seule, errant tantôt sur les îles volantes du Clan, tantôt dans des forêts. Le point commun de ces rêves était le ciel : de grandes lueurs flamboyantes dansant dans le firmament, toutes convergentes vers l'Est. Elle ne savait que trop bien au dessus de quelle terre se rejoignaient ces aurores boréales : la terre de ses ancêtres. Du clan Útlægr.
Guettant les présages hors du royaume onirique, elle finit par avoir la concrétion de ces visions par une nuit où le sommeil n'avait pas décidé de la visiter. Sortant prendre l'air, Hreingir leva le nez aux cieux, et vit la danse des lueurs flamboyantes. L'heure était venue de forcer la main du destin et s'engager sur la route qui la mènerait à la couronne de son ancien clan, ou de périr en essayant. Le mot courut bien vite dans le village qu'elle rassemblait des troupes, et qu'au soir venu, ils prendraient la direction du Útlægrsheim et devraient livrer bataille contre la menace la plus immédiate pesant sur cette région.
En effet, l'objectif de cette virée était de refermer une brèche, ouverte par nul autre que la mère de Hreingir : Nálithra, une elfe anciennement esclave, et désormais consumée par la haine et son désir de vengeance envers le peuple qui l'avait brisée. Pour assouvir sa soif, elle avait pactisé avec les forces de la ruine, pliant la magie de la Mort à sa volonté en échange de son âme.
Avant de se mettre en route, le Roi leur rendit visite, bénissant leurs armes de la magie de Feunoyr, son épée.
Une petite troupe se réunit bien vite autour d'elle : Drahalan, Yflam, Nerinys, Sintel, Shalaïca, Kaas et sa hyène Kalahaar, Folkar, Sérune, Zirac et Iris de la Confrérie Grise. Elle leur exposa le plan :
Ils accosteraient à l'abri des regards, près du premier village fondé par ses ancêtres en cette terre. De là, ils devraient le traverser discrètement, pour atteindre la plaine bordant la crypte où se terrait la mère de Hreingir. Ayant Sérune sous la main, elle la prévint d'emblée qu'elle serait chargée de dissimuler magiquement le groupe le temps qu'ils traversent un passage exposé, et assurément surveillé par des archers.
L'étape suivante consistait à détruire les trois cairns runiques maintenant un barrage, prévenant quiconque de pénétrer l'enceinte. Elle les prévint qu'ils seraient lourdement défendus, et que des draugir ne seraient clairement pas les seules menaces : il fallait s'attendre à bien pire.
Dans l'hypothèse où jusque là, ils auraient tout réussi, il ne restait qu'une étape au plan : aller au coeur de la crypte, et refermer la brèche ouverte par Nálithra. Le sort de l'elfe se déciderait à l'instant. Si elle s'écartait du chemin de sa fille et revenait sur ses ambitions néfastes, sa vie serait sauve. Et dans le cas bien plus réaliste où elle tenterait de se débarrasser d'eux, Hreingir donna l'ordre à ceux qui la suivront d'être sans pitié - car sa mère n'en aurait certainement pas.
Portés par les vents sur les flots, l'équipe finit par accoster au point prévu. Mettant le plan en pratique, Sérune incanta une invisiblité de masse, dissimulant la troupe aux yeux des archers postés alentours, veillant sur les quais.
Étape 1 : Traverser le village
Ils croisèrent le chemin de quelques draugir, en route, mais s'en défirent bien vite. Ils finirent par arriver sur une place, où se dressait face à eux le dernier obstacle de cette partie de l'assaut. Derrière un petit régiment de draugir se tenaient trois humains, à la stature colossale et comme faits de glace. Deux guerriers, et une sorcière, semblant tenir les reines de cette troupe-là. La bataille s'engagea immédiatement. Le combat fut rude et long, mais ils finirent par venir à bout de la plupart des draugir présents sur place, des deux guerriers tombant avant la sorcière. À son trépas, les derniers draugirs combattants ou errant dans le village s'effondrèrent également, permettant aux troupes de continuer leur chemin sans réellement d'accrocs.
Étape 2 : Détruire les cairns
Sortis du village, Hreingir guida la troupe vers le premier cairn. L'itinéraire choisi leur permit de prendre les troupes présentes à revers. Une sorcière s'occupait d'alimenter magiquement l'édifice, protégée par quatre guerriers de glace. L'enchantement de Feunoyr, offert aux lames du groupe, fut décisif dans ce combat.
Au terme de cette escarmouche, le catalyseur maintenant le cairn actif fut détruit. À cet instant, une grande vague de froid en émana, sans réelle incidence sur eux si ce n'est un certain inconfort. Le temps jouant contre eux, ils prirent la direction du second site.
Le deuxième cairn se trouvait au sein d'une fosse. Si sa configuration permettait d'en contrôler les accès par divers goulots d'étranglement, un tireur bien placé n'aurait pas eu de réel souci à causer de lourds dommages. Et c'est précisément ce qui se passa : puisqu'ils le virent de loin, le groupe se plaça de façon à ce que Sérune et Nerinys tissent ensemble un sort puissant, amplifié par les runes de Zirac. Drahalan contribua en ajoutant une grenade paralysante, lancée juste avant le sort. L'alliage de la technologie et de la magie pulvérisa tout bonnement les gardiens et le cairn. En revanche, pour ce qui est de la discrétion... L'efficacité avait un prix, et la question qui hantait l'esprit de Hreingir en cet instant précis était de savoir à quel moment ils devraient passer à la caisse.
Il ne restait plus qu'un cairn, placé en haut d'un contrefort, au coeur d'un petit village. C'était celui où les druides Útlægr vivaient, auparavant. Et bien que Hreingir eût maints souvenirs liés à cet endroit, l'heure n'était pas à la nostalgie. Cette fois, ils n'eurent pas le choix que de faire face et attaquer l'ennemi de front.
Bien qu'emprunts d'une force colossale, les guerriers héléens ne furent pas assez nombreux pour vaincre - bien qu'ils se défendirent sans faillir, jusqu'à leur dernier souffle. Durant la bataille, Sérune lança un sortilège de flammes sur la sorcière. Non seulement, sa cible fut atteinte, mais cela eût un effet sur lequel l'archimage n'avait pas compté au début : la sorcière étant très proche du catalyseur du cairn, l'objet enchanté maintenant actif son pouvoir, ce dernier fut aussi touché. Les flammes suffirent à mettre à mal son intégrité, et faire tomber son équilibre magique extrêmement précaire dans le chaos. Il explosa, libérant également une vague de magie froide. La sorcière mourut sur le coup, et les autres guerriers semblèrent mis à mal. De là, leur sort fut vite réglé. Tandis que la troupe de Hreingir était victorieuse, le rempart vers la crypte s'effondrait, ouvrant la voie vers l'instant fatidique que la guerrière aux cheveux cendrés redoutait le plus.
Alors qu'ils s'engageaient dans la crypte, les soldats présents tressaillirent, puis... s'écartèrent ? Leur présence défiante avait évidemment été remarquée, et apparemment, la mère de Hreingir avait décidé de se charger elle-même de sa fille.
Tandis qu'ils avançaient entre les imposantes colonnes de pierre, tous purent voir l'ampleur des méfaits de Nálithra. Du mur jaillissaient des racines, au bois pourrissant par endroits. Au cœur de cette couronne se trouvait une gueule béante et plus sombre que l'abysse, avalant la lumière en gardant jalousement le secret de ce qui se terrait au-delà. Les rares sentiments que cette déchirure du monde transmettait étaient une peur viscérale, et un froid vous mordant jusqu'à l'âme. Plus qu'un simple portail, c'était une porte vers un autre monde, dont l'essence était la mort et la damnation.
Des filaments d'ombre dansaient face à la brèche, entourant une silhouette. Après de longues années, mère et fille se croisaient à nouveau.
Tandis que le groupe s'avançait vers l'elfe, sous le regard de ses troupes, elle tourna un regard glacial vers sa fille. Les deux se remémorèrent à cet instant précis leur dernière entrevue, des années auparavant, alors que Hreingir n'était encore qu'une adolescente, qui ne connaissait pas d'autre voie que celle de la violence et de la rage. Nálithra, ayant alors voulu l'aider à panser ses plaies après une dure rossée prise à l'entraînement, se heurta à la frustration de sa fille. Cette dernière l'avait toujours tenue pour responsable de sa faiblesse, son infériorité aux autres membres de son Clan. Après s'être fait battre par son propre enfant, l'elfe l'entendit lui promettre que si elle s'approchait à nouveau, Hreingir la tuerait. Leurs routes ne s'étaient jamais croisées depuis ce jour-là, et bien des choses avaient changé.
"Petite ingrate", commença l'elfe. "J'ai sacrifié jusqu'à mon âme pour toi. Pour que tu n'aies plus à être comme eux. Et voilà ma récompense ? Ces terres et son peuple sont promis à ma maîtresse, et elle les aura. Même si je dois verser ton sang."
Elle planta sa lance, vibrante d'une énergie morbide, dans le sol. Des ossements en jaillirent, s'assemblant petit à petit en un amalgame semblant tout droit issu d'un cauchemar. Il avait d'immenses ailes aux plumes noires, et ses quatre têtes étaient semblables à celles de corbeaux, animal sacré pour Hreingir. La voix de sa mère se mêlait à celle de centaines d'âmes, leurs cris tourmentés se déformant en mots.
"Toi qui vénère le corbeau, Hreingir, fille traîtresse, vois ce qu'ils deviennent face au pouvoir de Hel !"
La bataille finale s'engagea.
L'affrontement fut rude. Yflam s'acharnait sur le monstre telle une puce sur un chien, restant accroché à lui tout du long. Sérune, souvent aidée de Zirac, faisait pleuvoir toute sa magie sur l'amalgame. Drahalan usait de ses pouvoirs temporels pour l'entraver. Shalaïca usait d'ombre infusée dans ses lames. Hreingir se battait comme une furie, bien que déchirée intérieurement. S'il y a bien une chose que les Tempête-Ailées lui avaient appris, c'était à quel point elle avait été aveugle à l'affection que sa mère lui avait vouée par le passé, et toutes ses aides discrètes à rendre sa vie de guerrière Útlægr agréable.
L'amalgame invoqua des barrages de flammes de mort, fit jaillir des sols des mares d'ombre assaillant les guerriers tant en leur chair que leur esprit. La bataille semblait perdue d'avance, car lorsque les coups n'étaient pas magiques, c'était la gigantesque faux ou les mains squelettiques qui les meurtrissaient. Pourtant, tous tirent bon, même Drahalan qui était agonisant à cause de sa magie et des durs coups reçus.
Ce fut Hreingir qui réussit à porter le coup final, aidée par Sérune. Dans un geste d'ultime recours, elle adressa à ses dieux une prière tandis que Sérune décuplait ses forces par la magie. Elle lanca son arme, qui frappa aussi fort que la foudre la dernière tête de l'amalgame, les autres ayant été détruites au fur et à mesure du combat. Le monstre s'effondra sur lui-même... et Nálithra avec lui, bien qu'elle respirât encore.
Tandis que tous s'occupaient des blessés, Hreingir récupéra son arme et rejoint sa mère. Elle était glaciale et avait le teint cadavérique, mais semblait soulagée. Ainsi vaincue, l'emprise des sombres forces qu'elle servait semblait s'estomper sur son âme.
"Tu as fini par devenir une grande guerrière, ma fille", lui dit l'elfe lentement. Chaque mot semblait arracher un peu plus la vie à son corps. "Je suis fière de toi. Tu peux m'achever, maintenant... Je suis prête."
Sans piper mot, Hreingir accomplit la volonté de sa mère, perçant son coeur de sa lame. Elle la garda contre elle jusqu'à ce qu'elle rende son dernier souffle, avant de se lever, toujours silencieuse. Elle prit la direction de la faille, ôtant son gant droit. Sa paume était marquée d'une rune infiniment complexe, dont les détails semblaient presque relever de la fractale. Elle était comme cautérisée à même sa main.
"Yflam, te souviens-tu de toutes mes disparitions avec Grímnir ?"
Épuisé, le worgen répondit d'un hochement de tête.
"C'était pour en arriver là. Cette faille entre les mondes... Il m'a donné cette rune pour pouvoir la refermer."
Hreingir tourna la tête vers ses alliés. Drahalan l'encouragea, crachant du sang entre chaque mots. C'est sûrement la ténacité de cet elfe qui, même à l'article de la mort trouva la force de parler pour donner son soutien aux siens, qui la décida.
"Regardez-moi, dieux..." dit-elle dans sa langue, avant de plonger son bras dans l'abîme d'ombre. Un vent glacé en jaillit, faisant hurler l'air lui-même sous sa puissance. Les propres cris de Hreingir se firent étouffer par ce souffle prodigieux, et tandis que son bras se faisait meurtrir profondément, la brèche se clot lentement. À sa fermeture, les marches qui flottaient docilement s'écroulèrent une à une, Hreingir tombant avec elles. Petit à petit, les soldats heléens et draugir présents autour tombèrent également, coupés de la source qui les animait.
Ce soir-là, les Útlægr, retranchés à Leiðslyk, la capitale, ne fêtèrent pas la victoire. Pas immédiatement, du moins. Un voyageur borgne à la longue barbe se présenta à eux, leur contant la défaite de Hel, la force et la bravoue de la troupe menée par nulle autre que celles que tous avaient vu comme une paria. Contrairement à beaucoup de ses guerriers, le Roi Ingjald Drekkabann ne vit pas ce haut-fait d'un bon oeil. Pas davantage que Sigurd Vikarsson, le père de Hreingir.
La guerrière, quant à elle, se réveilla dans l'infirmerie à l'issue d'un long rêve, où elle se voyait contempler l'infini sur les branches d'un frêne gigantesque.
La victoire était à eux, certes. Mais à quel prix ? Le destin le dira bientôt.