[Disclaimer : ce texte n'est pas une session jouée.]
Révélation
Musique recommandée pour accompagner ce récit :
“Concentre-toi sur ton destin si ça te chante ! Mais Yflam n’a plus l’envie d’en faire partie. Pas comme ça !”
Les mots du worgen résonnaient sans cesse dans la tête de Hreingir, plus assourdissants que le son de toutes les cloches de la cathédrale de Hurlevent. La dispute avait été le résultat d’une longue succession d’erreurs, dont beaucoup de sa part : mais forte-tête qu’elle était, la guerrière n’était évidemment pas de cet avis.
Non, à ses yeux, les affaires du cœur ne devaient pas prendre le pas sur son devoir. Sur le destin qu’elle voulait se forger. Et pourtant, Hreingir s’en voulait. Une longue discussion avec ses amis, Sérune et Zirac, eurent raison de sa fureur, au profit de ses doutes et de sa peine. En proie à des émotions qu’elle ne connaissait pas, l’esprit de la jeune femme fut caressé fugacement par un souvenir lointain. Une forêt dont les arbres arboraient tous une chevelure d’or et d’ambre, telle la cour entourant un roi sylvestre. L’arbre le plus éminent, altier et sacré de la terre qui avait vu naître Hreingir. D’après les légendes ancestrales de son Clan, les Útlægr, les dieux avaient béni cet arbre, et offraient leur sagesse à ceux qui venaient la chercher sous ses branches.
Hreingir salua ses deux amis, qui avaient tenté tant bien que mal de la rassurer. En vérité, elle n’avait que peu écouté, dès lors que l’arbre lui était revenu en tête. Une pensée portée par une douce brise, devenue une obsession. Elle prit la direction de l’abri des dragons, Skiaragosa l’attendant déjà. De par le lien mental qui les unissait, la dragonne azur savait pertinemment à quoi pensait celle qui veillait sur elle depuis qu’elle était dans un œuf, sa sœur d’âme. Portées par le vent, le duo se dirigea vers l’Est, vers l’endroit où le destin n’avait de cesse de ramener Hreingir.
Le vol ne dura pas bien longtemps. Le froid n’ayant jamais réellement importuné Hreingir, la dragonne put voler haut, se préservant ainsi d’éventuelles menaces cloîtrées au sol. Elles arrivèrent bientôt dans la chaîne de montagne bordant cette enclave des Îles Brisées. Sur un petit plateau escarpé, situé proche des sommets, elles retrouvèrent un visage amical : un vieux druide, qui s’était exilé depuis bien longtemps. Il se faisait nommer l’Ancien, car il préférait taire son nom. Le vieillard jouissait du respect de ses pairs, mais certainement pas de leur affection. À ses yeux, les Útlægr n’étaient que des barbares assoiffés de sang, qui s’étaient éloignés des enseignement véridiques des dieux et de la nature. Après les salutations d’usages, Hreingir prit la route de la forêt sacrée, seule et à pieds. Mieux valait pour la dragonne de ne pas s’aventurer trop loin, car des chasseurs rôdaient, et tuer des dragons était une immense source de gloire pour ce peuple.
Au loin, alors qu’elle descendait les sentiers sinueux le long du flanc de la montagne, Hreingir s’aperçut qu’il n’y avait aucune lumière nulle part. Il y avait en temps normal des feux de joie au centre des villages entourant Leiðslyk, la grande ville au cœur de cette terre. Cette dernière luisait d’ailleurs, et des clameurs guerrières en émanait. La jeune femme devina que quelque chose n’allait pas, mais elle comptait en profiter : si les combattants étaient tous affairés aux murs de Leiðslyk, elle aurait la voie libre pour atteindre sa propre destination. Ce jour ne serait pas celui où elle apparaîtrait à nouveau aux siens. En revanche, la tempête grondante et les épaisses brumes englobant la crypte depuis déjà quelques mois avaient encore gagné en intensité. Un sentiment de peur instinctive s’empara des tripes de Hreingir, lui causant un léger temps d’arrêt. Mais sa quête n’attendrait pas : il en allait de son avenir avec Yflam, la première personne qu’elle chérissait de la sorte depuis son premier souffle.
La marche lui prit deux bonnes heures. Elle veillait à éviter les routes et villages, préférant les ombres. Elle était une paria, ici. Elle ne croisa pas de patrouilles, comme elle s’y attendait. En revanche, les bruits de la bataille ne s’atténuaient pas, malgré la distance. Elle arriva bientôt à l’orée du Rúnviðr, la forêt sacrée de son peuple. Le ciel grondait, épisodiquement déchiré par un éclair. L’air était lourd, et la brume qui planait au dessus du sol semblait lui coller à la peau. Quoi qu’il en soit, Hreingir avançait, guidée par les charmes laissés dans les branches. Elle trouva le campement des druides, entièrement vide. Ils étaient sûrement affairés à l’attaque de Leiðslyk, ou sa défense.
La jeune guerrière s’avança aux pieds de l’arbre, relevant sa capuche. L’on ne se présentait pas caché face aux dieux. Elle se mit à genoux face à l’imposant visage sculpté à même la chair de l’arbre. Son écorce était marquée du sol à la cime par des runes et des scènes mythiques relatant l’épopée du Clan, et ses branches aux feuilles d’or arboraient des charmes et babioles offertes par ceux qui venaient quérir l’aide des dieux. Hreingir s’empara de sa scramasaxe, nichée à sa ceinture près de son épée. Elle passa le fil sur sa paume gauche. Là où certains offraient de l’or ou des victuailles, la guerrière offrait son sang, par lequel on tisse les liens les plus sacrés qui soient.
« Sage voyageur à la grise barbe, fais-moi don de ta clairvoyance. Guide-moi dans les épreuves que je traverse, éclaire moi, car je suis égarée. »
Hreingir répéta cette litanie, encore, et encore, tandis qu’elle faisait son offrande. Si lorsqu’elle forçait son esprit à s’ouvrir à ce qui se terre au-delà du réel avec des potions et végétaux, les visions étaient immédiates, ce ne fut pas le cas cette nuit-là. Elle ne voulait pas forcer quoi que ce soit, cette fois-ci. Lorsque l’affaire concerne le cœur, mieux vaut laisser les choses venir d’elle-même.
Elle resta immobile et silencieuse, à genoux face à l’arbre durant quelques heures. Elle faisait le vide dans son esprit, s’efforçant de trier les pensées, réfréner les peurs et les doutes. Ce que Hreingir cherchait, c’était la conduite à tenir, à redéfinir ses priorités. Lorsqu’elle ouvrit finalement les yeux, le corps engourdi, elle sentit que l’air était devenu léger et frais. Le ciel grondait toujours, mais il ne semblait plus la menacer. La brume n’était plus une entrave, mais plutôt un doux bain, lavant l’esprit de ses peines. Elle se releva lentement, se dressant près de l’arbre. La jeune femme posa sa paume et son front contre l’écorce, un semblant de sourire apaisé sur le visage.
« Merci à toi, Très Sage. Merci de m’avoir ouvert les yeux, moi qui était aveugle. »
À la faveur de la nuit, elle entendit un bruissement dans les branches de l’arbre sacré. La guerrière leva son regard d’azur. Un corbeau y secouait ses ailes. Elle sourit un peu plus, avant de se détacher de l’arbre, et de reprendre sa route. À peine la couronne de troncs englobant l’arbre passée, elle sentit subitement un malaise. Le même qui l’avait frappée alors qu’elle partait. Tandis qu’un frisson courait le long de son échine, ses jambes se figeaient. Le vent lui porta un râle aux oreilles, comme un souffle agonisant, presque silencieux. Hreingir parvient à se mouvoir, et ce réflexe lui sauva la vie, ce soir là : une lame, dentelée par l’usure, s’apprêtait à lui fendre le crâne. Elle fut frappée au dos, la pointe déchirant sa tenue et sa peau. La douleur fut mordante, mais pas tant à cause de la plaie que de la sensation de froid qui s’empara de sa chair à cet instant.
Sous le coup, l’usage de ses jambes lui revint. Elle se retournait, sa propre arme fusant dans sa main au même instant. Tandis qu’elle dégainait, elle amorça immédiatement un balayage de sa lame vers la gauche, parant un coup de son assaillant. Ce qu’elle vit face à elle lui glaça le sang, éveillant en elle une peur animale et instinctive. L’ennemi était un homme de grande stature, mais ses chairs étaient mortes et pourries. Impudiques, nombre d’os étaient apparents. Une lueur verdâtre et glacée couvait dans les yeux de la créature. Hreingir rompit le liage, s’évadant d’un bond en arrière. C’est là qu’elle comprit ce qui se tenait face à elle : un draugr, une créature de l’outre-tombe revenue dans le monde des vivants.
Elle se saisit de son bouclier, qu’elle avait déposé avant de prier, et l’utilisa immédiatement pour parer un nouvel assaut de son adversaire. La guerrière saisit l’occasion pour envoyer sa lame frapper d’estoc la cuisse de l’ennemi. Si le coup fut effectivement porté, et que son fer passa au travers du membre, il ne parut pas affecter tant que ça le monstre. Au contraire, non content de simplement rester stoïque, sa main gauche vint frapper Hreingir, ses doigts crochus éraflant sa gorge. Elle manqua de choir, prise à nouveau par cette sensation de froid mordant, émoussant ses sens et ses réflexes.
Le monstre, sans lui laisser le moindre répit, continua ses assauts sans s’interrompre. Elle faisait de son mieux pour parer les coups, se protégeant tant avec son bouclier que son épée. Lorsqu’elle parvenait à frapper l’adversaire, il n’en avait cure, et semblait infatigable. Ses coups étaient barbares et puissants, mais dénués de précision. Elle parvint à mettre cela à profit : d’un pas glissant sur le côté, elle leva sa lame pointe vers le dos. Le coup de l’ennemi glissa le long de l’arme de Hreingir, tandis qu’elle faisait une volte en le frappant du cerclage de son bouclier. Le coup réussit à déstabiliser le draugr, et Hreingir en profita pour immédiatement enchaîner d’une taille impitoyable, fendant le bras décharné du monstre. Privé de sa main d’épée, il sauta sauvagement sur Hreingir. Elle chût au sol, son bouclier étant la seule séparation entre elle et la chose qui cherchait à lui arracher son dernier souffle. Dans un rugissement, elle poussa avec son égide, pour renverser la créature. En roulant sur le côté, la main gauche du draugr s’empara de la jambe de Hreingir, ses doigts lacérant le membre. Elle laissé filer d’entre ses dents un râle de douleur, mais parvint à enfoncer sa lame au travers de la tête du monstre, le clouant au sol. Ce coup sembla avoir raison de lui, car sitôt effectué, la main desserra son emprise.
En boitant, Hreingir prit la fuite le plus vite possible. L’instinct de la guerrière avait pris le dessus sur sa raison : elle n’avait en tête que sa survie, le sang battant dans ses tempes tandis qu’elle s’efforçait de rejoindre un endroit d’où elle pourrait appeler Skiaragosa, et rentrer chez elle. Les ombres l’encerclant semblaient prendre vie petit à petit. Elle était traquée. Son épée eût raison d’un autre draugr en route, laissant l’adversaire ouvrir les hostilités pour dévier son arme et riposter directement à la tête. Elle finit par se résigner à courir, et hurla à gorge déployée le nom de sa dragonne. Tant pis pour la discrétion.
La dragonne, douée d’une ouïe sans pareil, perçut dans le lointain la voix de Hreingir. Elle ne saisit pas qu’elle criait son nom, mais devina que si elle se manifestait de la sorte, c’est qu’elle était en danger. En un battement d’ailes, elle s’éleva du sol, et fonça plus vive que les vents vers Hreingir. Lorsqu’elle arriva, elle vit depuis les cieux un détachement d’une trentaine de draugar. Sa chevaucheuse était déjà aux prises avec quelques uns d’entre eux, acculée. Son soulagement fut immense lorsqu’elle entendit le rugissement de la dragonne, suivi d’une imposante gerbe de flammes bleues réduisant en cendres les ennemis proches. Hreingir défit un draugr trop proche, avant de faire volte-face et de courir comme une dératée vers la dragonne. Montée en selle à la vitesse de l’éclair, les deux sœurs d’âme prirent immédiatement le large par la voie céleste, filant d’abord vers le Sud pour s’éloigner le plus possible des côtes, avant de réorienter leur trajet vers les îles volantes de Valyria.